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VOYAGES.

cache à tous les regards pour n’en être pas constamment humilié. Là, c’est un employé de l’État qu’on peut recevoir sans honte, s’il mène une conduite honorable, et qu’un dégoût de préjugé ne cherche jamais à flétrir. Celui dont je parle venait tous les matins (je ne sais pas exactement pour quel motif) dans les bureaux du colonel. Il était jeune, fort bien de figure et de taille, mis toujours avec soin. Ses manières avaient de l’élégance, sa voix un ton doux et caressant qui séduisait. Long-temps je le pris pour le fils d’une des meilleures familles du pays, et cette erreur me resterait encore, si le supplice d’un criminel n’avait eu lieu pendant les derniers temps de mon séjour à Varsovie. Je vis mon nouvel ami, dans tout l’éclat cérémonial de sa profession, traverser la place du palais de Saxe, à cheval, derrière le condamné. Il était vêtu d’une riche tunique de velours rouge, couverte de franges d’or et bordée de précieuses fourrures. Brandissant le large cimeterre qui devait servir à l’exécution, il criait aux spectateurs d’apprendre à leurs enfans à le redouter. La sensation que j’éprouvai à cette vue ne peut se décrire ; pour en croire mes yeux, j’eus besoin du témoignage de tous ceux qui pouvaient m’affirmer l’identité du personnage, et je fis en sorte de ne plus le rencontrer.

De ma fenêtre, donnant sur cette place du palais de Saxe, chaque jour je voyais le grand-duc venir faire défiler la garde montante, composée de Russes et de Polonais, tous d’une fort belle tenue, et manœuvrant avec une précision admirable. Le prince commandait souvent lui-même les mouvemens ; et quand il était satisfait, au mot bien ! qu’il prononçait à voix haute, les soldats catéchisés répondaient tous ensemble par un autre mot qui voulait dire : Nous ferons mieux.