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LITTÉRATURE.

plus fréquens au fur et à mesure que l’acteur approchait du passage qui devait provoquer l’explosion. Danton disait tout bas à Camille : C’est à la scène III, et il répétait les vers en même temps que l’acteur, comme pour hâter son débit, lorsque vinrent ceux-ci, qui les précèdent :

César, nous attendions de ta clémence auguste,.
Un don plus précieux, une faveur plus juste,.
Au-dessus des états donnés par ta bonté ?
César.
Qu’oses-tu demander, Cimber ?
Cimber.
Qu’oses-tu demander, Cimber ? La liberté.

Trois salves d’applaudissemens les accueillirent. — Voilà qui va bien, dit Danton, et il se leva à demi.

Talma commença :

Oui, que César soit grand, mais que Rome soit libre.

Danton se leva tout-à-fait, jetant autour de lui un regard de général d’armée, qui veut s’assurer que chacun est à son poste, quand tout à coup ses yeux s’arrêtèrent sur un point de la salle : la grille d’une baignoire venait de se soulever ; Robespierre y passait dans l’ombre sa tête aiguë et livide. Les yeux des deux ennemis s’étaient rencontrés, et ne pouvaient se détacher les uns des autres ; il y avait dans ceux de Robespierre toute l’ironie du triomphe, toute l’insolence de la sécurité. Pour la première fois, Danton sentit une sueur froide couler par tout son corps ; il oublia le signal qu’il devait donner : les vers passèrent sans applaudissemens ni murmure ; il retomba vaincu : la grille de la baignoire se releva, et tout fut fait. Les guillotineurs l’emportaient sur les septembriseurs. 93 fascinait 92.

Marceau, dont l’esprit préoccupé s’occupait de tout autre chose que de la tragédie, fut peut-être le seul qui vit, sans la comprendre, cette scène, qui ne dura que quelques se-