Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
VOYAGES.

tout ce que Naples avait alors de génie et de vertu.

Une chose digne de remarque, c’est que ce petit village de Santa-Sofia a donné aux lettres plusieurs hommes distingués. Tous les Italo-Albanais sont, du reste, doués d’une intelligence ouverte, et d’une conception vive et rapide.

Mon expédition ne fut pas heureuse. Le recueil espéré se trouvait chez un professeur de Cosenza, peut-être est-il perdu. Tant de revers publics et privés ont rendu indifférens aux chants populaires, monumens des anciens jours ; dans dix ans, ils seront tout-à-fait oubliés.

L’habitude de répéter ensemble les chansons nationales peut seule en perpétuer la mémoire. C’est un héritage public, un bien commun à tous, qui passe de génération en génération. L’homme s’intéresse et s’attache aux chants des ancêtres comme à une propriété inviolable. Enfant, il les balbutie au berceau ; vieillard, il les répète à ses petits-fils ; c’est le palladium des mœurs antiques. Là, ce n’est plus le cas : la place publique est silencieuse, la crainte, la misère attristent le foyer domestique ; de plus graves intérêts occupent toutes les pensées.

Et puis, disons-le, cette demi-civilisation, aussi funeste qu’incomplète, qui va ébranlant toutes les convictions, détruisant tout ce qui est consacré, ridiculisant tout ce qui est antique, se fait peu à peu jour jusque sur ces âpres sommets. Elle ôte du bonheur sans rien mettre à la place.

J’ai eu recours à la sibylle du village : sa vieille mémoire n’a retenu que des lambeaux épars, des ballades où sont célébrés les exploits de Scander-Beg, et que chantent encore les bardes d’Albanie, au rapport de