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VOYAGES.

Mais, il faut le dire, forgées dans les antres de la police, ces circulaires sont toujours vagues et insidieuses ; elles laissent beaucoup de latitude aux autorités inférieures, afin de rejeter toute la faute sur elles dans l’occasion ; et c’est ce qu’on fait presque toujours.

Ce juge-là est du reste à l’abri d’un pareil danger, car la rareté des voyageurs est telle dans ces contrées, que depuis quinze ans aucun n’y avait été vu. On s’en aperçoit au désintéressement du peuple. Un maestro-scarparo[1] que je fis travailler refusa son salaire, se trouvant assez payé, me dit-il, par l’honneur d’avoir travaillé pour le signor forestiere. Le dernier voyageur était un Anglais : on date de son passage comme d’un événement, comme à l’avenir on datera du mien.

San-Demetrio est le chef-lieu d’un arrondissement albanais. Les cinq ou six villages qui le composent sont groupés à l’entour. San-Giorgio est le plus grand, et Vacarizzo celui où le luxe rustique des femmes est le plus recherché. Il y a diverses mines dans les montagnes ; mais personne n’a même la pensée de les exploiter, et le gouvernement moins que personne.

L’existence de ces colonies albanaises est un phénomène historique digne d’attention, et presque ignoré. Il paraît que la première apparition des Albanais en Italie est postérieure de dix ans environ à la prise de Constantinople.

Ce grand événement, qui devait changer la face de l’Europe en même temps qu’il renversait un empire séculaire et décrépi, portait le coup de mort à un État jeune et robuste que l’énergie d’un seul homme avait fondé.

  1. Maître cordonnier.