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VOYAGES.

On lit les mœurs et l’histoire d’un peuple dans son architecture, et ces forteresses rustiques de la Calabre rappellent à chaque pas au voyageur l’antique fléau du pays, le brigandage. Le vieux roi de Naples, démoralisant son peuple au profit de la royauté, avait organisé le brigandage contre les Français, maîtres alors de sa capitale et de toutes ses provinces du continent. Remonté sur son trône, il a voulu briser son instrument, son propre ouvrage ; mais inhabile et ignorant des hommes, le gouvernement napolitain n’a pris que des mesures plus propres à perpétuer le mal qu’à l’extirper dans sa racine. Il faut le dire cependant, depuis quelques années, les bandes sont plus rares et moins audacieuses ; mais la propriété est loin d’être assurée, et sans sécurité le commerce, l’agriculture, tout languit.

Passé San-Mauro, la campagne se découvre, les arbres disparaissent, et la végétation expire au pied d’une colline sèche et nue.

Je vis de loin se dessiner sur la blanche argile de la colline un paysan sur la croupe de son âne : c’était la première figure humaine que j’eusse rencontrée depuis Corigliano ; car c’était dimanche, et la campagne était déserte. Il m’aperçut, et m’attendit. Son chapeau en pain de sucre surmontait une de ces figures fines et passionnées, vrai type national qui donne au peuple de Calabre une physionomie si spirituelle.

Naguère, le paysan calabrais n’allait jamais aux champs sans son fusil ; désarmé par la loi, il l’élude, et une hache pend toujours à son côté. C’est un instrument aratoire, et la loi ne prohibe que les armes. Mon nouveau compagnon portait donc sa hache fidèle à sa large ceinture de cuir. Selon ma coutume, j’étais seul et à pied. Il se récria fort, et, descendant de son