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ALBUM.

non d’art. L’auteur de Cinq-Mars nous semble posséder parfaitement une époque qu’il a deux fois représentée ; s’il y a lieu toutefois, nous laissons à l’ombre de Concini le soin de sa vengeance. M. de Vigny admet donc cette complicité de Ravaillac et de Concini : Concini a écrit à l’homme, voilà la preuve ; l’ennemi de Concini a cette lettre entre les mains, voilà l’instrument ; la borne où monta Ravaillac pour assassiner le bon roi, pierre sur laquelle Concini a bâti sa fortune, et sur laquelle il vient mourir, voilà l’autel.

Celui qui, ayant vu le drame de la maréchale d’Ancre, dirait : « Cette idée-mère de la pièce, et qui, selon vous, la nourrit d’acte en acte, à présent que vous la faites saillir, je l’aperçois, au théâtre elle m’avait échappé ; celui-là parlerait fort sensément, et sans qu’on en pût rien arguer ni contre sa sagacité, ni même contre le drame. » Ici, le spectateur est comme le personnage ; l’événement fatal, les entraîne tous deux sans qu’ils voient ce bras mystérieux qui les pousse. La vie est telle. Concini, depuis la mort du roi, est devenu tout-puissant, riche à millions, gouverneur de province, maréchal, il touche au bâton de connétable, il se croit fort à jamais, inébranlable, sauvé. Cependant les fils invisibles de sa destinée l’enveloppent, ses ennemis conspirent, l’implacable Borgia le guette, il ne voit rien ; on l’a proscrit, sa maison est brûlée, sa femme arrêtée et condamnée au feu ; il n’en sait rien encore ; le peuple passe à côté de lui, criant : Vive Borgia ! mort à Concini ! Il doute jusqu’au bout, il se dit : « C’est un rêve ! » Alors arrive Borgia, ce Corse acharné, qui depuis des années le poursuit. C’est le moment marqué par Dieu, Concini en a le pressentiment ; mais, fugitif, mais bientôt effacé, emporté qu’il est par la haine, le désespoir, la vengeance, furieuses passions qui le rendent semblable à un taureau dans l’arène. Enfin il meurt, mais en maudissant son ennemi, et le mot d’expiation n’est pas prononcé.

Ainsi marche le monde, l’événement s’accomplit sans qu’on ait le mot de cet événement : à distance seulement on