Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
SCÈNES DU DÉSERT.

Deux des pères jésuites qui avaient succédé à la mission du père Brévedent en Éthiopie furent contraints à quitter ce pays, par les inquiétudes sans nombre que leur causèrent le patriarche et les prêtres cophtes, dont la religion est celle de ce royaume ; ils furent heureux de se retirer sains et saufs, à travers leurs ennemis chrétiens et mahométans, et descendant à grand’peine le cours du Nil, vinrent se cacher dans les décombres de Thèbes : remplis de persévérance, de courage et de finesse, ils parvinrent à gagner, à force de temps et de services rendus, la confiance des fellahs des neuf villages des deux rives, et même d’une tribu d’Arabes pasteurs nommée Abab-deh’s, et à établir une sorte de petite mission sur la rive gauche du Nil. Il est bien vrai qu’ils furent obligés d’atténuer étrangement la rigueur des maximes du catholicisme, qu’ils voulaient établir au centre d’un pays mahométan ou schismatique ; ils avaient affaire à de rudes et superstitieux néophytes, qui les placèrent souvent dans l’alternative de faire céder leurs principes, ou d’être livrés aux Mamelouks, qui gouvernaient despotiquement l’Égypte, et dont les pauvres pères se cachaient soigneusement. On peut donc dire qu’il y eut conversion de part et d’autre, en ce sens que les Arabes arrachèrent de leurs pieux missionnaires des concessions secrètes et des permissions occultes dont les bons pères demandaient sans doute pardon à Dieu dans leur cœur, tandis qu’en échange ils accordèrent aux deux frères de Jésus les priviléges, successivement octroyés, d’enseigner les enfans et de dire secrètement la messe, pourvu qu’ils n’eussent pas de cloches, et ne s’avisassent jamais de parler aux femmes, sous peine d’être tués sur-le-champ par leurs maris ou maîtres, ce qui pensa arriver deux ou trois fois aux bons missionnaires, que leur âge avancé ne put soustraire qu’avec bien des difficultés à l’inflexible jalousie orientale. Il était résulté de ces arrangemens et de ces mutuels sacrifices une sorte de petit culte mixte, tout particulier, qui s’exerçait dans l’ombre ; une croyance vague et complaisante, qui n’était ni la religion romaine, ni la grecque, ni la cophte, ni l’armé-