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ALBUM.

C’est cette épopée racontée par Hébal que M. Ballanche nous a donnée ; elle embrasse depuis les temps cosmogoniques jusqu’aux temps apocalyptiques, depuis Dieu avant la création jusqu’à l’homme après la destruction du globe ; toute l’histoire passe dans l’intervalle comme dans une longue vallée. Le christianisme suffit à M. Ballanche à travers ce cours immense des siècles passés et à venir ; il ne se sent jamais le besoin de franchir le cercle divin dont il considère le centre comme fixe, et le rayon comme infini ; la perfectibilité humaine y est à l’aise, et a de la marge comme on voit. On n’attend pas de nous une analyse ; l’intelligence des idées de M. Ballanche résulte de l’ensemble de ses écrits et d’une méditation lente et silencieuse. Il dit quelque part dans une note : « Une simple lecture des ouvrages de M. de Maistre et de M. l’abbé de La Mennais ne suffit point. Il faut en pénétrer le sens intime et général, s’en assimiler la substance. » On pourrait donner à bien plus forte raison le même conseil à ceux qui veulent s’élever dans l’intelligence de M. Ballanche.

Félicitons-nous, félicitons la France que de tels ouvrages sortent de son sein, que de tels travaux lui maintiennent le rang philosophique dont l’Allemagne a failli un instant la précipiter. M. Ballanche est un philosophe tout original, qui nous appartient en propre, et qui, en tenant compte des travaux de nos voisins, ne s’inquiète jamais d’importer ni d’imiter. Il est lui-même, il se ressouvient, il devine, il raconte, avec son caractère vague, profond et doux ; il est historien, il est philosophe et théosophe, comme d’autres sont poètes, par instinct de nature, par conscience irrésistible, par candeur de vocation, par sentiment infus du passé, et je dirai presque, par une sorte de don de prophétie. Aux grandes époques de transformation pour le genre humain, il y a des hommes organisés de telle façon, que le travail d’enfantement extérieur se concentre et s’opère hâtivement dans leur sensibilité individuelle ; ils entendent tous les échos du passé qui viennent mourir dans leur âme ; ils pressentent tous