Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/528

Cette page a été validée par deux contributeurs.
518
LITTÉRATURE.

L’École normale dissoute, Farcy se logea dans la rue d’Enfer près de son maître et de son ami M. V. Cousin, et se disposa à poursuivre les études philosophiques vers lesquelles il se sentait appelé. Mais le régime déplorable qui asservissait l’instruction publique ne laissait aux jeunes hommes libéraux et indépendans aucun espoir prochain de trouver place, même aux rangs les plus modestes. Une éducation particulière chez une noble dame russe se présenta, avec tous les avantages apparens qui peuvent dorer ces sortes de chaînes ; Farcy accepta. Il avait beaucoup désiré connaître le monde, le voir de près dans son éclat, dans les séductions de son opulence, respirer les parfums des robes de femmes, ouïr les musiques des concerts, s’ébattre sous l’ombrage des parcs ; il vit, il eut tout cela, mais non en spectateur libre et oisif, non sur ce pied complet d’égalité qu’il aurait voulu, et il en souffrait amèrement. C’était là une arrière pensée poignante que toute l’amabilité délicate et ingénieuse de la mère ne put assoupir dans l’âme du jeune précepteur. Il se contint durant près de trois ans. Puis, enfin, trouvant son pécule assez grossi et sa chaîne par trop pesante, il la secoua. Je trouve, dans des notes qu’il écrivait alors, l’expression exagérée, mais bien vive, du sentiment de fierté qui l’ulcérait : « Que me parlez-vous de joie ? Oh ! voyez, voyez mon âme encore marquée des flétrissantes empreintes de l’esclavage, voyez ces blessures honteuses que le temps et mes larmes n’ont pu fermer encore… Laissez-moi, je veux être libre… Ah ! j’ai dédaigné de plus douces chaînes ; je veux être libre. J’aime mieux vivre avec dignité et tristesse que de trouver des joies factices dans l’esclavage et le mépris de moi-même. »

Ce fut un an environ avant de quitter ses fonctions de précepteur (1825) qu’il publia une traduction du troisième volume des Élémens de la philosophie de l’esprit humain, par Dugald Stewart. Ce travail, entrepris d’après les conseils de M. Cousin, était précédé d’une introduction dans laquelle Farcy éclaircissait avec sagacité et exposait avec précision