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FORMULE GÉNÉRALE DE L’HISTOIRE.

buste tend une main amie à l’être débile qui naguère s’enfuyait à son aspect ; le manteau sacré du droit s’étend également sur l’un et sur l’autre. En même temps, à la vue, à la voix d’Eurydice, l’instinct de la pudeur, le sentiment de la beauté, l’amour enfin, mille autres qualités exquises naissent dans le cœur de l’homme.

Type de la femme, qui l’est elle-même des sentimens dévoués, Eurydice sait initier les hommes aux grandes pensées du dévoûment, aux joies douloureuses du sacrifice : joies ineffables et mystérieuses, où viennent se reposer de nobles âmes après de longues, de bien longues souffrances.

C’est ainsi qu’Orphée put accomplir la noble mission à laquelle il s’était consacré ; la poésie en a symbolisé les merveilles en redisant d’âge en âge comment les bêtes féroces le suivaient, domptées par les harmonies de sa lyre, et comment les pierres, s’arrachant des entrailles de la terre, venaient d’elles-mêmes former les fondemens des cités.

M. Ballanche conduit d’abord en Samothrace le poète et sa compagne ; il nous peint cette contrée comme ayant été bouleversée dès les premiers âges du monde par d’horribles convulsions de la nature, au milieu desquelles s’étaient englouties des nations entières. Au moment où Orphée y aborda, quelques hommes, débris d’une civilisation détruite, y erraient au hasard sur les ruines d’un sol profondément bouleversé. Sans lois, sans propriétés, sans tombeaux, à peine conservaient-ils encore quelques usages bizarres, quelques traditions obscures, restes du grand naufrage où s’était englouti l’ancien ordre social, et qui de jour en jour périssaient dans leurs mains. En dehors de la loi du progrès, universelle dans le nouvel ordre de choses qui s’établissait