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ALBUM.

Il me paraît assez dans la manière de M. Dumas de créer d’abord un dénoûment, et ensuite d’y suspendre la pièce entière. Le dernier mot une fois inventé, il veut que tout y aboutisse, il accroît, il gonfle les caractères s’il le faut, il resserre ou il étend les événemens, et événemens et caractères ont leur germe dans la dernière ligne ou le dernier vers. C’est une bonne manière pour l’état actuel de nos besoins d’émotions croissantes ; donc elle est bonne pour le succès, et après tout, le succès n’est-il pas tout ce qu’il faut ? La France, tout oublieuse qu’on la croit, se souvient de toute réussite, et en conserve une mémoire proportionnelle égale au mérite de l’ouvrage, selon le temps de sa naissance ; on sait encore gré à madame Deshoulières de ses moutons. Je connais des hommes d’esprit qui en récitent jusqu’à dix vers, en vérité. Voltaire, en faisant moins de tragédies, eût fait mieux sans doute, mais il aima mieux avoir tous les ans un succès avec des orphelins chinois que de créer en dix ans un monument comme Athalie ; fit-il mal ? fit-il bien ? je ne sais. Il faut prendre un homme comme il est, et le juger selon ce qu’il veut faire ; Voltaire connaissait admirablement les planches et le parterre ; il savait ce que dure une œuvre de théâtre livrée au public et dévorée en deux mois ; il voulait augmenter l’hydre toute sa vie, et lui jetait de la pâture souvent. Dans les jeunes auteurs qui veulent écrire pour la scène, il n’est pas surprenant que quelques-uns adoptent ce système et précipitent encore le nombre des représentations. L’exemple est séduisant, et je n’en sais pas à qui la comparaison puisse être injurieuse. Grâce aux habitudes des théâtres de jouer tous les jours le même ouvrage, il n’y a plus de répertoire possible. Un drame est affiché, on y court lundi, mardi, mercredi ; il s’use de jour en jour jusqu’à la corde, puis tout est fini, on n’y pense plus, on dit : à un autre. Les romantiques font toujours des préfaces, dit-on dans Antony; j’en sais une où l’auteur écrivait ceci : « Faire jouer une tragédie n’est autre chose que préparer une soirée ; après un certain nombre de soirs, la machine ayant tou-