Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/311

Cette page a été validée par deux contributeurs.
301
UNE DÉBAUCHE.

— Ah ! ah !…

— À demain… monsieur !…

— À l’instant !… répondit le poète…

— Allons !… allons, vous êtes deux braves…

— Ils ne peuvent seulement pas se mettre debout !…

— Ah ! je ne me tiens pas droit peut-être ? reprit le belliqueux auteur en se dressant comme un cerf-volant indécis…

Il jeta sur la table un regard hébété. Puis, comme exténué par cet effort, il retomba sur sa chaise, pencha la tête, et resta muet.

— Ne serait-il pas plaisant !… dit le jugeur à son voisin, de me battre pour un ouvrage que je n’ai jamais vu ni lu ?

— Eugène, prends garde à ton habit ! Ton voisin pâlit…

— Kant !… Encore un ballon lancé pour amuser les niais ! Le matérialisme et le spiritualisme sont deux jolies raquettes avec lesquelles des charlatans en robe font aller le même volant. Que Dieu soit en tout, selon Spinosa, ou que tout vienne de Dieu, selon saint Paul… Imbéciles !… Ouvrir ou fermer une porte… Est-ce pas le même mouvement ? L’œuf vient-il de la poule ou la poule de l’œuf ?… — Passez-moi du canard ! — Voilà toute la science !…

— Nigaud !… lui cria le savant, la question que tu poses est tranchée par un fait.

— Et lequel ?…

— Les chaires de professeurs n’ont pas été faites pour la philosophie, mais bien la philosophie pour les chaires ?…Mets des lunettes et lis le budget…

— Voleurs !…

— Imbéciles !…

— Fripons !…

— Dupes !…

— Où trouverez-vous ailleurs qu’à Paris un échange aussi vif, aussi rapide entre les pensées ?… s’écria le plus spirituel des artistes en prenant une voix de basse-taille.