Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
LITTÉRATURE.

Les verres se remplirent. Les assiettes vides disparurent.

Puis, le premier service apparut dans toute sa gloire. Il aurait fait honneur à feu Cambacérès, et Brillat-Savarin l’eût célébré. Les vins de Bordeaux, de Bourgogne, blancs, rouges, furent servis avec une profusion royale. Cette première partie du festin était comparable, en tout point, à l’exposition d’une tragédie classique.

Le second acte devint quelque peu bavard. Chaque convive avait bu deux ou trois bouteilles en changeant de crûs suivant ses caprices, de sorte qu’au moment où l’on emporta les restes de ce magnifique service, de tempestueuses discussions s’étaient établies. Quelques fronts pâles rougissaient, plusieurs nez commençaient à s’empourprer, les visages s’allumaient, les yeux pétillaient. C’était l’aurore de l’ivresse. Le discours ne sortait pas encore des bornes de la civilité ; mais les railleries, les bons mots s’échappaient insensiblement de toutes les bouches, et la calomnie élevait même tout doucement sa petite tête et parlait d’une voix flûtée. Çà et là, quelques sournois écoutaient attentivement, espérant garder leur raison.

Le second service trouva donc les esprits tout-à-fait échauffés. Chacun mangea en parlant, parla en mangeant, but sans prendre garde à l’influence des liquides, tant ils étaient lampans et parfumés, tant l’exemple était contagieux… L’amphitryon, se piquant d’animer ses convives, fit avancer les vins du Rhône, de vieux Roussillons capiteux ; et alors, déchaînés comme les chevaux d’une malle-poste partant d’un relais, ces hommes, fouettés par les piquantes flèches du vin de Champagne impatiemment attendu, mais abondamment versé, laissèrent galoper leur esprit dans le vide des raisonnemens que personne n’écoute, se mirent à raconter ces histoires qui n’ont pas d’auditeur, recommencèrent cent fois ces interpellations qui restent sans réponse… L’orgie seule déploya sa grande voix, sa voix, composée de cent clameurs confuses qui grossissent comme les crescendo de Rossini… Puis arrivèrent les toasts insidieux, les forfanteries, les défis.