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LITTÉRATURE.

la plus nombreuse. Mais, pour ne parler que des gens qui ont à peu près l’usage de leur raison, il est de fait que l’esprit de l’homme tend à l’unité ; chacun a des goûts particuliers, et cherche son plaisir où il le trouve. Sans doute, Polyeucte, Phèdre ou le Misanthrope n’ont jamais eu et n’auront jamais la vogue des Deux Forçats ou du Mariage d’inclination ; plus l’art s’élève, moins il y a d’intelligences pour le suivre, c’est une loi de tous les temps et de tous les lieux ; mais croyez-vous qu’en nous donnant des mélodrames moins Frédérick, ou des vaudevilles moins les couplets, vous repeuplerez la solitude du Théâtre-Français ? Non. Vous verrez déserter ce qui vous restait de public, et vous n’embaucherez pas le public des boulevarts, qui trouve là-bas les genres qu’il aime, plus franchement traités et beaucoup mieux représentés. Si le mauvais goût, le défaut de grands acteurs, mille circonstances, frappent momentanément de stérilité la représentation de nos chefs-d’œuvre tragiques et comiques, ce n’est pas une raison pour fermer le Théâtre-Français, ni surtout pour le dénaturer. C’est au gouvernement à le soutenir comme un luxe nécessaire, comme une gloire nationale, jusqu’à ce qu’un grand tragédien, une grande actrice y ramènent la foule, qui ne se remue que pour les acteurs. Or, il ne se formera pas de grands artistes, si l’on ne joue plus les grandes pièces, et si l’on n’encourage pas les poètes qui conservent encore le feu sacré. On a beaucoup crié contre les subventions accordées aux grands théâtres ; le principe en est excellent, mais l’application et le mode de répartition l’ont rendu illusoire et même abusif. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas que les étrangers qui visitent Paris rapportent dans leurs pays que Corneille, Racine, Molière, n’ont plus de prêtres ni d’adorateurs dans leur propre temple. Le Théâtre-Français n’est pas seulement une spéculation, c’est un monument d’art, où le type du beau, c’est-à-dire d’un genre de beau, doit être à jamais conservé, fût-ce même aux dépens de la liste civile et du trésor public. L’honneur de la France y est intéressé comme à la conservation de ses bibliothèques et de ses mu-