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LITTÉRATURE.

doute que l’envoyé indien. Je croirais volontiers que nous avons un peu de temps devant nous.

— Autant que mes faibles yeux me le permettent, reprit le vieillard en élevant sa main ridée au-dessus de ses sourcils blanchis, je vois une file d’hommes et d’animaux.

— C’est la tribu des Abadéhs qui se retire, marche vers le Nil, dit Yousouf le drogman, ou Joseph l’interprète.

En effet, des yeux plus jeunes que ceux du missionnaire eussent pu, sans la lunette de son compagnon, distinguer à peu de distance la nombreuse tribu qui sortait lentement du bois d’acacias, derrière lequel elle avait campé cette nuit. Quelques cavaliers, drapés de manteaux blancs, armés d’une lance démesurée, s’élançaient en avant, et revenaient en tournant vers la lente file de bagages qui s’avançait d’un pas plus prudent. On pouvait distinguer des chameaux portant entre leurs deux bosses, comme dans une selle formée à cet usage, des femmes voilées et des enfans nus ; des dromadaires, plus légers, chargés des tentes, des sacs de blé, de dattes, de café, et des outres pleines de l’eau du Nil, si précieuse au désert. On voyait parfois une jeune fille marcher légèrement auprès de ces animaux, portant un enfant sur sa tête, comme un vase de lait, avec une grâce toute particulière à son pays ; une autre passait sans aucun vêtement, mais tenant avec soin sur son visage le masque de toile bleue, parce que la pudeur d’une fille arabe est surtout de cacher ses traits qui, seuls, dit-elle, la distinguent des autres femmes. Quelques vieillards à barbe blanche suivaient sur de beaux chevaux, et laissaient pendre jusque sur le sable les longues pipes qu’ils fumaient en avançant ; des troupeaux de chèvres noires, et quelques moutons à longue laine, marchaient après eux ; et la nombreuse tribu, disparaissant et se montrant tour à tour dans les inégalités de ce terrain sablonneux, décrivit un grand cercle, et s’arrêta sur les bords du fleuve, dont le crépuscule commençait à découvrir les larges contours.

— Ces gens-là sentent l’approche de la tempête comme les