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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

race qu’ils méprisent et qu’à la fois ils détestent. »

« Mais, reprend-elle, n’aurais-je pas pu répondre au décemvir que le culte de nos patrons est notre culte, que leurs dieux sont nos dieux ? »

« Trop de choses seraient à expliquer, ô ma fille ! dit le centurion, et le temps nous manque. Écoute, le jour est venu de nous soustraire à l’antique anathème. Parmi les dieux des patriciens, il en est qui nous sont inconnus. Ce sont des dieux cruels qui demandent une victime. — Vous l’aurez, cette victime, ajouta-t-il, les yeux baignés de larmes amères, et la voix étouffée par ses sanglots. La jeune fille ne comprenait point les sinistres paroles de son père. Elle entoure de ses bras innocens le cou du vaillant soldat, dont elle croit que le courage est sur le point de faillir, et lui parle en ces mots : « Ah ! ne souffrez pas qu’on me sépare de vous, ô mon père ! veuillez rester mon appui ! ne me quittez plus ! Voyez donc quelle est notre misère ! nous sommes admis au culte domestique, non pour y participer, mais pour en être témoins ; et lorsqu’il nous est permis d’assister au culte public, c’est pour nous entendre adresser la formule du mépris : « Loin d’ici les profanes ! » Si, du moins on nous laissait libres dans notre abaissement ! Il n’en est point ainsi, on veut encore nous priver des liens de la nature. Ô mon père, soyez toujours mon père respecté ! soyez mes dieux, ma gloire et mon amour ! »

Le centurion jette sur le juge des regards enivrés d’un trouble qui va croissant ; puis il les ramène sur sa fille, comme pour l’engager doucement à exhaler moins haut l’expression du sentiment qui l’agite. Il continue de lui parler à voix basse : « Ô ma fille !