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ESSAIS DE PALINGÉNÉSIE SOCIALE.

subjugué par cette puissance d’un attrait qui est venu le saisir à son insu. Il éprouve comme de la colère, de ce qu’une jeune fille sans nom possède le charme et la grâce qui égalent une femme à une déesse. En vain il a été ému d’une douce et irrésistible admiration ; il l’étouffera pour ne pas être faible lorsqu’il s’agit des intérêts sacrés du patriciat. Cette école, formée pour instruire les enfans d’une race qui devait rester à jamais exclue de toute science et de toute doctrine, était un signe trop caractéristique d’une funeste tendance à l’émancipation ; il fallait se hâter de lui rendre impossible toute voie initiative, la maintenir dans l’abrutissement, afin qu’elle ne fût pas tentée de sortir d’un état passif, nécessaire à l’harmonie civile. Pour elle-même enfin, il fallait la garantir d’un élément de progrès, contraire à sa nature infime, et qui ne pouvait que lui rendre sa condition douloureuse.

Le patron qui a mérité le blâme du décemvir est loin d’avoir les mêmes pensées ; mais ne voulant pas être accusé de laisser périr entre ses mains la gloire attachée à la royauté de la famille, il vient déclarer, ainsi qu’il lui est prescrit, que la barrière du droit a été franchie par la fille d’un de ses cliens.

La jeune fille, citée devant le tribunal du juge sévère, comparaît accompagnée de sa nourrice et de quelques femmes timides, plébéiennes comme l’accusée. Toutes sont éplorées, toutes ont un maintien suppliant. La foule rassemblée verse des larmes abondantes.

Appius Claudius, renfermant sa propre émotion, se montre plus inflexible, plus inexorable qu’il ne l’est en effet. Un nuage de tristesse et d’ennui couvre son front, et tempère le feu de son regard.

Le patricien qui a été obligé de réclamer son autorité