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VARIÉTÉS.

Le lendemain, m’étant armé de tout mon courage, j’allai jusqu’à quatre-vingts pas sous la chute anglaise. Il y fait extrêmement obscur, et j’avais la plus grande difficulté à respirer. Je marchais sur des dalles très-glissantes que l’eau couvrait à chaque instant. Des anguilles noires, grosses comme le bras, et que dans ma terreur je prenais pour d’horribles serpens à sonnettes, me passaient entre les jambes. J’étais étourdi par le fracas épouvantable de cette mer immense qui tombait de cent quarante pieds au-dessus de moi. Je pensais que le moindre faux pas pouvait me perdre ; je risquais d’être écrasé, anéanti… Le moment qui me sembla le plus difficile, fut, après avoir compté quatre-vingts pas, de me retourner pour revenir. Je me baissai cependant pour prendre une anguille qui me glissa dans les mains, et je me sentis plus léger en retrouvant le ciel sur ma tête au lieu de la chute du lac Érié.

J’escortai mes compagnons de voyage jusqu’au lac Ontario, à quatorze milles des chutes où ils allaient s’embarquer pour Montréal. Bientôt le steamboat l’Alciope partit. G… traversa la rivière dans un canot d’Indiens ; et moi, abandonné sur cette terre étrangère, regardant tantôt le bateau à vapeur qui s’évanouissait à l’horizon, tantôt le canot d’Indiens qui allait disparaître derrière les arbres, j’allai promener ma tristesse sur les bords silencieux du lac Ontario.


Eugnène Ney.