Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
SCÈNES DU DÉSERT.

vous conseillerais de vous presser, si vous me demandiez mon avis.

— Hélas ! dit le père, qui commençait à s’affecter sérieusement, la jeunesse rit et plaisante de toutes choses, parce qu’un sang brûlant coule dans ses veines, et qu’elle se sent assez de force pour recevoir le choc des événemens ; mais lorsque l’inquiétude entre une fois dans l’âme d’un vieillard, rien ne peut la combattre, si ce n’est une grande confiance dans la Providence, car ses forces diminuent tous les jours.

En disant cela, il remit son pinceau dans le pot de couleur, et s’asseyant sur les pierres qui lui servaient d’échafaudage, il baissa la tête, et soupira profondément.

L’interprète changea de ton subitement, et lui serrant la main dans les siennes, lui dit avec une voix émue et attendrie :

— Ah ! croyez, mon bon père, que je ne me plais point à vous tourmenter par de vaines prévisions, et que si je garde encore le secret de mon nom et de mon pays, c’est moins pour moi que pour vous-même, car aux yeux des gens dont j’attends la venue, vous seriez aussi compromis que moi-même. Aussi criminel, ajouta-t-il avec un rire de mépris, aussi criminel de lèse-nation. Ah ! ah ! vous apprendrez bientôt ce que c’est que ce crime-là. Je vous en dis assez, mon père, pour que par la suite vous puissiez deviner ce que je suis, quand vous serez plus au fait des derniers événemens de l’Europe ; mais je ne vous fais aucune confidence qui puisse vous compromettre et vous engager, je ne vous demande aucun serment, ne taisez rien de ce que j’ai dit, parlez de vos soupçons à qui vous plaira, je n’ai aucun droit à rien exiger de vous. Vous êtes libre, nous verrons ce que vous ferez.

On put voir à la lueur de la lanterne la rougeur dont se couvrirent les joues du missionnaire. Il salua légèrement et ploya les épaules comme pour se résigner à une nouvelle humiliation, et dit avec douceur : — Mon frère, je n’ai fait que bien peu de bonnes œuvres, mais je puis dire que je