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PRESTIGE.

Peut-être ne le voudrait-on pas, n’eût-on pour lit qu’un peu de paille, pour seule nourriture, du pain noir.

Je connais un homme dont chacun envie le sort. Il est aimable, dit-on, recherché, porte un grand nom, et possède une fortune à satisfaire les plus vastes désirs.

Il est pourtant malheureux.

Il ne se trouve ni faste ni exagération dans sa douleur. Il se laisse aller au milieu des plaisirs de la vie, sans en recevoir de bienfaisantes impressions.

Une douleur atroce et prolongée donne l’engourdissement aux facultés morales, comme elle le donne aux facultés physiques ; seulement, les unes en guérissent quelquefois, les autres jamais. Ainsi est-il !

Il aimait, il était aimé. Une femme, un ange lui avait tout sacrifié, bonheur, passé, avenir, conscience, et il était digne de pareils sacrifices ; car il ne regardait pas l’amour comme une lutte frivole du plaisir et de la vanité, un duel où l’on déploie la ruse, où l’on raffine d’adresse, et après lequel on se quitte froids et indifférens.

Aimer ! s’unir l’un à l’autre pour la vie, malgré le malheur et le désespoir ! Lui pour elle, elle pour lui ! Voilà ce qu’ils entendaient par aimer.

Pauvres insensés !

Elle était à un autre ! et cet autre savait leur amour, et il avait cruellement vengé ses droits méconnus. Elle n’avait donné à son ami qu’une tendresse que son ami seul pouvait comprendre, que seul il pouvait inspirer. N’importe, elle appartenait à un autre. Corps et âme, pensers, imagination, désirs, rêves, tout était à un autre.

Cet autre réclama l’exécution d’un pacte qu’elle avait signé. Pauvre jeune fille sans expérience, ses parens lui avaient guidé la main !

Elle proposa à l’infortuné… à celui dont je vous dis l’histoire, ou l’exil pour lui, ou l’opprobre pour elle.

L’opprobre pour elle !… Le monde aurait ri de sa chute comme l’enfer rit à la chute d’un ange.