Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/434

Cette page a été validée par deux contributeurs.
420
LITTÉRATURE.

défendue pour toute forteresse et pour toute muraille par le courage et le patriotisme de ses citoyens, sans point d’appui sur les départemens environnans, presque sans contact avec eux, se leva seule, et de son propre mouvement, contre la terreur. Une légion spontanée de jeunes et hardis soldats, qu’on appelait les plumets rouges, à cause de la couleur de leurs panaches, la couvrit de son drapeau, et cette enceinte qui paraissait ouverte aux plus faibles efforts, ne fut, pendant plusieurs mois, violée par personne. Je me rappelle que dans nos impressions de l’enfance, nous ne placions, en idée, le plumet rouge d’un fédéraliste du Jura qu’au front de quelque géant formidable, à la manière de Polyphème et de Goliath, et c’était en effet une forte et imposante génération d’hommes. On croirait qu’elle avait été produite à dessein pour des circonstances fortes et imposantes comme elle, et qu’il était de sa destinée de passer en même temps. Ce qu’il y a de très-remarquable, c’est que l’administration se montra digne du peuple. L’enthousiasme d’une généreuse résistance fut aussi exalté sous l’écharpe que sous le baudrier, quoiqu’il y courût encore plus de périls, et que la couronne infaillible de ce courage civil, dont les exemples sont si rares, fût attachée au fer de la guillotine. Les décrets rendus par la Convention depuis le 31 mai furent brûlés en place publique, et deux de ses commissaires, Bassal et Garnier de l’Aube, conduits sous bonne et sûre garde aux frontières du département, avec défense d’y rentrer. Ils rapportèrent que leur escorte ne les avait pas défendus sans peine contre l’exaspération des citoyens.

Cependant les deux opinions étaient encore librement représentées à Lons-le-Saulnier par les tribuns du pays, et le hasard faisait que ces deux chefs étaient frères, comme cela s’était vu autrefois à Thèbes et à Corinthe ; mais la nature n’avait jamais marqué deux frères de sceaux plus différens, en caractère et en physionomie. Jean-François Dumas, le Vergniaud du Jura, pouvait passer pour beau, même dans une famille qui se distinguait par la beauté corporelle, et