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LITTÉRATURE.

— Ne le lui donnez pas, au nom de Dieu !… s’écria la mère.

Ce cri presque sauvage réveilla dans le cœur du frater une courageuse bonté, qui lui fit épouser la cause de la comtesse.

— L’enfant n’est pas encore venu ! Vous vous battez de la chape à l’évêque !… répondit-il froidement au comte, en cachant le pauvre avorton.

Mais étonné de ne pas entendre de cris, il regarda l’enfant croyant déjà qu’il était mort.

Alors le comte s’aperçut de la supercherie du rebouteur, et sautant sur lui d’un seul bond :

— Tête-dieu pleine de reliques !… me le donneras-tu !… s’écria-t-il en rugissant de rage et lui arrachant des mains l’innocente victime, qui alors jeta de faibles cris.

— Prenez garde, il est tout contrefait ! dit maître Beauvouloir en s’accrochant au bras du comte ! Il est chétif, c’est un enfant venu sans doute à sept mois !…

Puis, avec une force supérieure qui lui était donnée par une sorte d’exaltation, il arrêta les doigts du père en lui disant à l’oreille, d’une voix entrecoupée :

— Épargnez-vous un crime, il ne vivra pas !…

— Scélérat ! s’écria vivement le comte, des mains duquel le rebouteur épouvanté avait arraché l’enfant. Qui te dit que je veuille sa mort ?… ne vois-tu pas que je le caresse ?…

— Attendez alors qu’il ait dix-huit ans pour le caresser ainsi !… répondit Beauvouloir retrouvant toute son importance.

— Mais, ajouta-t-il, en pensant à sa propre sûreté, car il venait de reconnaître le comte qui, dans son emportement, avait oublié de déguiser sa voix, baptisez-le promptement, et ne parlez pas de mon arrêt à la mère, autrement vous la tueriez.

Cette phrase adroite lui était suggérée par la joie secrète que le comte avait trahie en laissant échapper un geste