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L’ENFANT MAUDIT.

elle caressait le manteau de velours violet brodé d’or et doublé de satin, les dentelles noires dont les bottines étaient garnies, les jolis losanges crevés du pourpoint et du haut-de-chausse, la blanche collerette empesée, et surtout une figure jeune, caractérisée par deux petites moustaches relevées en pointe, et par une royale qui, sous le menton, ressemblait à une des queues d’hermine répandues sur l’épitoge de son père.

Au milieu du silence et de la nuit, les yeux attachés sur les courtines de moire qu’elle ne voyait plus, oubliant et son mari et l’orage, la comtesse osa se rappeler comment, après bien des jours, qui furent comme des années, le jardin entouré de vieux murs noirs, et le noir hôtel de son père lui semblèrent lumineux. Elle aimait, elle était aimée. Puis, comment, craignant les regards sévères de sa mère, elle s’était glissée un matin dans le cabinet de son père, pour lui faire ses jeunes confidences, après s’être assise sur lui et s’être permis des espiègleries qui avaient attiré le sourire aux lèvres de l’éloquent magistrat, sourire qu’elle attendait pour lui dire :

— Me gronderez-vous, si ?…

Elle croyait entendre encore son père, lui disant, après un interrogatoire où, pour la première fois, elle parlait de son amour : — Eh bien ! mon enfant, nous verrons. S’il étudie bien, s’il veut me succéder, s’il continue à te plaire… je me mettrai dans ta conspiration de bonheur…

Et alors, n’écoutant plus rien, elle avait baisé son père, renversé les paperasses, pour courir au grand tilleul, où tous les matins, avant le lever de la redoutable mère, elle rencontrait son cousin Georges de Chaverny !

Lui promettant de dévorer les lois et les coutumes, le courtisan quittait les riches ajustemens de la noblesse d’épée pour prendre le sévère costume des magistrats.

— Je t’aime bien mieux vêtu de noir, lui disait-elle.

Elle mentait ; mais ce mensonge avait rendu son bien-aimé moins triste d’avoir jeté la dague. Enfin les ruses employées