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LITTÉRATURE.

porte, et qu’il avait les pieds dedans. Alors il s’avança, donna un coup de talon par le visage à ce pauvre mort, tout ainsi que le duc de Guise en avait donné un à l’Amiral le jour de la Saint-Barthélemy ; puis il se dit en reculant, comme effrayé de son courage : Seigneur mon Dieu, qu’il est grand ! Il paraît plus grand encore mort que vivant !

Pendant que je me rappelais ces choses, le concierge, qui tenait absolument à me faire revenir à son avis, me disait : « Cependant, Monsieur, il n’y a que vous et un autre grand jeune homme blond qu’on appelle M. Vitet, qui m’ayez jamais contredit. »

Puis il continuait à me montrer la cheminée où les corps du duc et du cardinal coupés en morceaux avaient été brûlés, la fenêtre par laquelle les cendres avaient été jetées au vent, les oubliettes de Catherine de Médicis avec leur quatre-vingts pieds de profondeur, leurs lames d’acier tranchantes comme des rasoirs, leurs crampons aigus comme des fers de lance, si nombreux et si artistement disposés en spirales, qu’un homme qui tombait d’en haut, créature de Dieu, perdant un membre ou un lambeau de chair à chaque choc, n’était plus, arrivé en bas, qu’une masse informe et hachée, sur laquelle le lendemain on jetait de la chaux vive pour empêcher la corruption.

Et tout ce château, demeure royale, avec ses souvenirs de mort et ses merveilles d’art, est maintenant une caserne de cuirassiers qui s’y roulent, buvant, chantant, et dans leurs transports d’amour ou de patriotisme, grattant avec la pointe de leurs longs sabres une arabesque ravissante de Jean Goujon pour écrire sur le bois aplani : J’aime Sophie, ou Vive Louis-Philippe !

Je pris la malle-poste en sortant du château, et j’arrivai le soir à Tours. On ne s’y entretenait que de l’arrestation de MM. de Peyronnet, Chantelauze et Guernon-Ranville ; on me raconta, avec la volubilité du triomphe, une foule de détails sur eux, détails curieux alors, et qui n’offrent plus aujourd’hui aucun intérêt. C’est déjà une vieille histoire.