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LE PETIT SOUPER.

— Cet homme-là doit enterrer plus d’un malade !… dis-je à mon voisin.

— Je ne lui confierais pas mon chien, me répondit-il.

— Je le hais involontairement.

— Et moi je le méprise…

— Quelle injustice cependant !… repris-je.

— Oh ! mon Dieu, après-demain il peut devenir aussi célèbre que Volange, répliqua l’inconnu.

M. de Calonne montra le chirurgien par un geste qui semblait nous dire : — Celui-là me paraît devoir être plus amusant.

— Et auriez-vous rêvé d’une reine ?… lui demanda Beaumarchais.

— Non, j’ai rêvé d’un peuple !… répondit-il avec une emphase qui nous fit rire. J’avais entre les mains un malade auquel je devais couper la cuisse le lendemain de mon rêve…

— Et vous avez trouvé le peuple dans la cuisse de votre malade ? demanda M. de Calonne.

— Précisément, répondit le chirurgien.

— Est-il amusant !… s’écria la comtesse de G….

— Je fus assez surpris, dit l’orateur sans s’embarrasser des interruptions et en mettant chacune de ses mains dans les goussets de son vêtement nécessaire, de trouver à qui parler dans cette cuisse. J’avais la singulière faculté d’entrer chez mon malade. Quand, pour la première fois, je me trouvai sous sa peau, je contemplai une merveilleuse quantité de petits êtres qui s’agitaient, pensaient et raisonnaient. Les uns vivaient dans le corps de cet homme, et les autres dans sa pensée. Ses idées étaient des êtres qui naissaient, grandissaient, mouraient. Ils étaient malades, gais, bien portans, tristes, et avaient tous enfin des physionomies particulières. Ils se combattaient ou se caressaient. Quelques idées s’élançaient au dehors et allaient vivre dans le monde intellectuel, car je compris tout à coup qu’il y avait deux univers : l’univers visible et l’univers invisible ; que la terre avait, comme l’homme, un corps et une âme. Alors la nature s’illumina