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LITTÉRATURE.

— Mais, reprit l’avocat, j’ignore si je dois continuer ; bien que je sois porté à croire que ce ne soit qu’un rêve, ce qu’il me reste à dire est grave…

— S’agit-il de religion ? dit Beaumarchais.

— Ou y aurait-il de l’indécence à continuer ? demanda Calonne.

— Il s’agit de gouvernement… répondit l’avocat.

— Allez, reprit le ministre. Voltaire, Diderot et consorts ont assez bien commencé l’éducation de nos oreilles.

Le contrôleur devint fort inattentif, et sa voisine, madame de G…, fort occupée.

Le provincial hésitait encore ; mais Beaumarchais lui dit avec vivacité :

— Mais allez donc, maître, ne savez-vous pas que les lois nous laissent si peu de liberté, que nous prenons notre revanche dans les mœurs…

Alors le convive commença ainsi :

— Soit que certaines idées fermentassent à mon insu dans mon âme, soit que je fusse poussé par une puissance étrangère, je lui dis : — Ah ! madame, vous avez commis un bien grand crime !…

— Lequel ?… demanda-t-elle d’une voix grave.

— Celui dont la cloche du palais donna le signal au 24 août…

Elle sourit dédaigneusement, et quelques rides profondes se dessinèrent sur ses joues blafardes.

— Vous nommez cela un crime !… répondit-elle. Ce fut un grand malheur ; l’entreprise mal conduite ayant échoué, il n’en est pas résulté pour la France, pour l’Europe, pour le christianisme, tout le bien que nous en attendions. Les ordres ont été mal exécutés, nous n’avons pas rencontré autant de Montluc qu’il en fallait. La postérité ne nous tiendra pas compte du défaut de communications qui nous empêcha d’imprimer à notre œuvre cette unité de mouvement nécessaire aux grands coups d’état. Voilà le malheur. Si le 25 août, il n’était pas resté l’ombre d’un huguenot en France, je serais demeurée jusque dans la postérité la