Page:Revue des Deux Mondes - 1830 - tome 4.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.
392
LITTÉRATURE.

merveilleux soupers du comte de Cagliostro. Je n’avais pas l’esprit trop présent à ce que disait la maîtresse du logis, car depuis la réponse qu’il m’avait faite, j’observais avec une invincible curiosité la figure mignarde et blême de mon voisin. Son nez était à la fois camard et pointu, ce qui, par momens, le faisait ressembler à une fouine. Tout à coup ses joues se colorèrent en entendant madame de Saint-Jame dire à M. de Calonne d’un ton impérieux :

— Mais je vous assure, Monsieur, que j’ai vu la reine Cléopâtre…

— Je le crois, Madame !… répondit mon voisin ; car moi, j’ai parlé à Catherine de Médicis…

— Oh ! oh !… s’écria M. de Calonne.

Les paroles prononcées par le petit provincial le furent d’une voix qui avait une indéfinissable sonorité, s’il est permis d’emprunter ce terme à la physique. Cette soudaine clarté d’intonation chez un homme qui avait jusque là très-peu parlé, toujours très-bas et avec le meilleur ton possible, nous surprit au dernier point.

— Mais il parle… s’écria le chirurgien, que Beaumarchais avait mis dans un état satisfaisant.

— Son voisin aura poussé quelque ressort, répondit le satirique.

Mon homme rougit légèrement en entendant ces paroles, quoiqu’elles n’eussent été que murmurées.

— Et comment était la feue reine ? demanda Calonne.

— Je n’affirmerais pas que la personne avec laquelle j’ai soupé hier fût Catherine de Médicis elle-même, car ce prodige doit paraître justement impossible à un chrétien aussi bien qu’à un philosophe, répliqua l’avocat en appuyant légèrement l’extrémité de ses doigts sur la table et en se renversant sur sa chaise, comme s’il devait parler long-temps ; mais je puis jurer que cette femme ressemblait autant à Catherine de Médicis que si elles eussent été sœurs. Elle portait une robe de velours noir absolument pareille à celle dont cette reine est vêtue dans le portrait qu’en possède le roi, et la