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LE PETIT SOUPER.

sance… répliqua sèchement le ministre, fâché de voir divulguer un de ses secrets devant moi.

— Cela est possible, dit Beaumarchais piqué au vif, mais j’ai des millions…

M. de Calonne feignit de ne pas entendre…

Il était minuit et demi quand les parties cessèrent. L’on se mit à table. Nous étions dix personnes, Bodard et sa femme, le contrôleur-général, Beaumarchais, les deux inconnus, deux jolies dames dont je tairai les noms, et un fermier-général, appelé, je crois, Lavoisier. De trente personnes que je trouvai dans le salon en y entrant, il n’était resté que ces dix convives, et encore les deux espèces ne soupèrent-elles que d’après les instances de madame de Saint-Jame, qui crut s’acquitter avec l’un en lui donnant à manger, et qui peut-être invita l’autre pour plaire à son mari, auquel elle faisait des coquetteries, je ne sais trop pourquoi ; car, après tout, M. de Calonne était une puissance, et si quelqu’un avait eu à se fâcher, c’eût été moi.

Le souper commençait à être ennuyeux à la mort. Ces deux gens et le fermier-général nous gênaient. Alors je fis un signe à Beaumarchais pour lui dire de griser le fils d’Esculape qu’il avait à sa droite, et je lui donnai à entendre que je me chargeais de l’avocat. Comme il ne nous restait plus que ce moyen-là de nous amuser, et qu’il nous promettait de la part de ces deux hommes une ample moisson d’impertinences dont nous nous amusions déjà, M. de Calonne sourit à mon projet. En deux secondes, les trois dames trempèrent dans notre conspiration bachique. Elles s’engagèrent par des œillades très-significatives à y jouer leur rôle, et le vin de Sillery couronna plus d’une fois les verres de sa mousse argentée. Le chirurgien fut assez facile ; mais au troisième verre que je lui versai, mon voisin me dit avec la froide politesse d’un usurier, qu’il ne boirait pas davantage.

En ce moment, madame de Saint-Jame nous avait mis, je ne sais par quel hasard de la conversation, sur le chapitre des