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LETTRES SUR LA GUADELOUPE.

le ménage comme on ménage un cheval, afin qu’il puisse aller jusqu’au terme du voyage. Et ce sont là, je pense, les motifs les plus nobles qui influencent la conduite d’un planteur hollandais. Mais il y a assez de place pour la cruauté sans toucher à la vie ou aux membres, et l’intérêt lui-même n’est pas toujours capable de réprimer les passions d’une race d’hommes qui, vivant dans les parties les plus reculées de la colonie, méprisaient naguère les ordres d’un gouvernement éloigné, et se révoltaient lorsqu’il voulait les faire exécuter.

» Je sais qu’il y a des familles où les esclaves sont traités avec douceur, mais cela tient au caractère particulier du maître ; c’est une exception au système généralement suivi, loin d’en être la conséquence, car toute organisation sociale dans laquelle on compte beaucoup sur la bonté de l’homme doit être mauvaise. On dit, et cela est vrai, que les esclaves sont presque toujours vicieux. C’est un argument que les maîtres devraient se garder de prodiguer : ce sont eux qui donnent souvent aux jeunes filles la première leçon du crime ; et quant à l’ivresse, le vice des hommes, elle est presque pardonnable dans une race abrutie par des traitemens cruels, et qui n’échappe au sentiment de ses maux qu’en se réfugiant dans une insensibilité dégradante. On allègue encore qu’ils sont ingrats. Pauvres malheureux ! ils n’en ont pas souvent l’occasion. Ce qu’un maître regarde comme de la bonté pour un esclave n’est souvent que l’effet d’un caprice passager, n’in-