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CORRESPONDANCE ET VARIÉTÉS.

vingt-quatre ans ; et, malgré l’excès d’embonpoint qui gênait sa marche et ses mouvemens, elle conservait encore de la fraîcheur et de la beauté. De temps à autre, elle se retournait à droite et à gauche vers ses parentes, sans doute pour les encourager et les consoler.

Le cortége s’arrêta à environ quarante toises de la mer. La veuve s’assit à terre, au milieu des femmes qui l’avaient accompagnée et suivie, tandis qu’à quelques pas les parens et quelques bramines s’occupaient de la construction du bûcher. À cet effet, ils enfoncèrent d’abord en terre quatre pieux d’environ huit pieds de hauteur, et formant un carré de six pieds sur chaque côté. On remplit cette enceinte par plusieurs couches successives d’herbes sèches et de bois très-léger ; on attacha à l’extrémité des pieux quatre bâtons que l’on traversa par des planches plus fortes, de manière à ce que le tout s’affaissât lorsque le feu prendrait aux liens. Trois des côtés du bûcher furent couverts jusqu’au sommet avec des herbes, tandis que le quatrième demeura libre pour que la victime pût se placer, et eût la liberté de fuir, si le courage venait à l’abandonner. Pendant que ces préparatifs se faisaient, la malheureuse qui en était l’objet répétait des prières qu’un brame lisait dans un livre, et de temps à autre posait les mains sur des fruits qu’on lui présentait, apparemment pour les bénir. On vint bientôt lui dire que tout était prêt, et à cette nouvelle ses traits ne décelèrent pas la moindre émotion. Elle s’avança d’un pas ferme vers le bûcher, se dépouilla de ses ornemens et récita quelques prières. Une légère pâleur que je remarquai sur sa figure me fit croire un instant qu’elle allait renoncer au sacrifice ; mais cet espoir fut bientôt détruit, car je la vis aussitôt poser un pied sur le bûcher, tourner la tête pour dire un dernier adieu à la terre et aux amis qu’elle y laissait, et se placer à côté de son mari, dont elle embrassa le corps avec le bras droit. Les parens mirent alors le feu aux quatre angles du bûcher, qui s’enflamma en un instant. Je vis, aux premières atteintes du feu, la malheu-