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FRAGMENS LITTÉRAIRES.

Sur la croupe du destrier, Lénore s’est enfin élancée, et ses blanches mains entourent le corps de son ami. La terre résonne, les ponts fléchissent sous les pas du sombre coursier, qui, de ses pieds poudreux, fait jaillir l’étincelle bleuâtre. Dans leur vélocité, bientôt tout s’efface à leurs yeux ; les plaines, les monts, les déserts silencieux et les cités endormies ; ils franchissent tout comme le nuage poussé par l’ouragan… La jeune fille serre encore plus le cavalier. — As-tu peur, Lénore ? Vois-tu ces grandes ombres qui passent entre nous et la lune ? Hurrah ! les morts vont vite ! Tu trembles, enfant, crains-tu les morts ?… — Non, Wilhem, mais laisse les morts en repos. Écoute plutôt les tristes sons qui se font entendre… Et ces corbeaux avides, que nous veulent-ils ?… Vois ce cercueil et cette procession qui se glissent sous l’ombre de ce nuage, et qui paraissent nous précéder. Vois ces figures vaporeuses qui nous entourent.

Et ces êtres difformes et ondoyans qui semblent effleurer la terre, qui sont-ils ? — Ce sont, dit le noir cavalier, ceux qui ne dorment que lorsque le tonnerre gronde, qui ne rient que lorsque le faucon déchire la fauvette innocente, qui ne chantent et ne dansent que lorsque la timide vierge est entraînée dans la tombe, et qui s’inclinent seulement quand l’enfer rend ses arrêts. — Écoute, dit Lénore, ils chantent : « Quand l’airain sonnera douze fois, tu seras dans la tombe !!! » — Chef de l’hymne des morts, s’écrie Wilhem, célèbre notre hyménée, et bénis la fiancée ; je la conduis au banquet solennel.