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donc étaient là rangés comme au jour des batailles, le corps immobile, le regard brillant et l’ame en feu.

Au milieu du Champ-de-Mars, sous un beau ciel, et par un soleil d’août, s’étendaient de longues lignes aux armes éblouissantes, aux couleurs variées ; des tourbillons de poussière dorée s’interposaient entre ces milliers de spectateurs. Tantôt il leur semblait apercevoir les soldats alignés, les cavaliers rapides comme une vision d’Ossian ; tantôt ces femmes jolies, ces toilettes éclatantes apparaissaient au milieu du nuage diaphane comme un harem des houris du prophète. Le monument de l’École-Militaire était seul grave comme le temps : il était là, comme le dieu Terme, pour séparer les héritages et assister aux débats des dynasties et des peuples.

Vous tous qui avez vu ces panaches, ces aigrettes, ces plumes flottantes, ces pennons surmontés du coq gaulois, et laissant déployer au vent les couleurs de l’indépendance, ces milliers de baïonnettes étincelantes, aiguisées seulement pour l’ennemi ; vous qui avez senti votre cœur battre et vos paupières se mouiller à la vue de ce glorieux peloton de jeunes vétérans blessés, de ces candides filles qui venaient offrir des fleurs à la reine, comme ce peuple venait lui offrir son bras ; dites, quelles étaient vos émotions ?….. Avez-vous remarqué cette heureuse reine, cette heureuse mère qui, dans le trouble où la jetait tant de bonheur, ne savait ce qu’elle devait préférer, ou de ce qui assurait un trône à ses enfans, ou de ce qui accroissait le nombre de ceux qu’elle devait aimer ?…

Quel changement !… Il y a quarante années, une autre reine portait ici fièrement sa couronne. Après un long drame, la fille d’un Français se montra, encore à moitié parée du manteau consulaire. Elle était pleine de grâces et de bonté. La fille des Césars lui succéda, ne recevant d’éclat que du puissant génie qui commandait aux Rois. On dit qu’elle oublia bientôt qu’elle était la femme