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CORRESPONDANCE ET NOUVELLES.

peuple et les sons discordans des tambours et des flûtes indiennes.

» Arrivée au sommet du bûcher, elle s’assit au centre, et le cadavre de son mari, déjà tout enflé par la putréfaction, fut placé avec soin sur ses genoux. Un morceau de fiente de vache, enveloppé dans de la paille, fut donné à son beau-père qui s’élança autour du bûcher, en criant et en agitant cette paille enflammée, pendant que la victime continuait à joindre les mains, et à se réjouir, en apparence, du destin qui l’attendait.

« Les fagots, bientôt allumés en différens endroits, ne tardèrent pas à produire une flamme qu’un vent violent rendit terrible et majestueuse. Pendant qu’elle s’élevait jusqu’à la victime, je l’aperçus faire un mouvement comme pour se coucher, afin que le supplice fût plus promptement terminé. Mais quelle fut ma surprise et ma joie, quand je la vis s’élancer du bûcher, et rejeter loin d’elle le corps de son époux dans une sorte de mouvement convulsif ! À peine eut-elle touché la terre, qu’un bramine la saisit ; telle était sa faiblesse qu’elle tomba, et, sans notre prompte intervention, elle eût été aussitôt repoussée au milieu de l’incendie.

« Comme on peut aisément le supposer, une scène de confusion fut la suite de cet incident. Nous nous ouvrîmes rapidement un passage au travers de la foule, et nous eûmes la satisfaction de ramener cette pauvre victime de la superstition des bramines dans le village où elle demeure maintenant, contente, je le crois, d’avoir pu ainsi échapper à la mort[1]. Son dos et ses bras furent brûlés d’une manière

  1. Cela est douteux. Les autres femmes indiennes n’ont plus certainement que du mépris pour cette pauvre veuve : elle même doit gémir tous les jours de sa faiblesse, tant à cet égard il y a de fanatisme dans les croyances religieuses de l’Inde ! Peut-être serons nous assez heureux pour fournir un jour une preuve tout-à-fait nouvelle de ce que nous avançons ici, en faisant connaître la rela-