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ASIE.

jeune ; des secours, un appui furent promis à elle et à sa famille, si elle voulait renoncer à monter sur le fatal bûcher. Elle repoussa toutes ces propositions avec dédain, mais en même temps avec douceur, et montra la ferme résolution d’accomplir son projet.

» Elle manifesta une vive satisfaction quand la permission fut arrivée. D’un pas ferme et d’un air assuré elle s’avança sur le bord du Gange où le bûcher funéraire était préparé. Une foule de dévots la suivaient et témoignaient à contempler cet effrayant spectacle autant d’empressement qu’on en met en Angleterre à voir un combat de boxeurs.

» Parvenue au rivage, la jeune veuve accomplit la cérémonie de se baigner avec le cadavre de son époux ; elle quitta ses vêtemens, distribua quelques ornemens à ses amies, et les bramines qui l’entouraient lui donnèrent en échange des guirlandes de fleurs et des parfums dont elle se frotta les membres. Après cette purification, elle s’assit à terre près du bûcher, environnée d’une multitude de vieilles femmes et de bramines, dont les traits expressifs et fortement tendus révélaient tout le plaisir que leur causait le courage et la résolution de leur victime.

« Il survint tout à coup un retard inattendu. Il n’y avait point assez de bois, et pendant que quelques personnes couraient en chercher, de nouvelles tentatives furent réitérées pour détourner cette femme de son cruel dessein : mais elle garda sa fermeté, sourit et se mit à chanter tandis que les vieilles femmes frappaient dans leurs mains et criaient à l’unisson. Le bûcher fut bientôt complété et entouré de fagots pour que ses souffrances fussent aussi courtes que possible.

« Le moment fatal approchait. La jeune veuve se leva, l’air calme et déterminé. Avant de monter sur le bûcher, elle en fit plusieurs fois le tour en jetant des fleurs à la multitude avide de recevoir quelque chose d’elle. Tout en accomplissant ces rites, elle chantait, accompagnée par les cris du