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HISTOIRE.

formidable élément est capable ; les navires d’où dépendaient la subsistance et le salut de l’armée, arrachés de leurs ancres, allaient ou se briser les uns contre les autres, ou se fracasser contre les rochers ; plusieurs furent poussés à terre, d’autres furent abîmés dans les flots. En moins d’une heure, quinze vaisseaux de guerre et cent quarante bâtimens de transport périrent ; huit mille hommes qui étaient à bord furent noyés, ou si quelques-uns de ces malheureux échappaient à la rage des flots et cherchaient à gagner la terre à la nage, ils étaient massacrés sans pitié par les Arabes. L’empereur, immobile d’étonnement et de douleur, contemplait en silence cet affreux désastre ; il voyait s’engloutir dans les flots et toutes ses munitions de guerre et les immenses provisions destinées à nourrir ses troupes ; toutes ses espérances s’évanouissaient. La seule ressource qui fut en son pouvoir était d’envoyer quelques détachemens pour chasser les Arabes postés sur le rivage, et pour recueillir le petit nombre de ceux qui avaient le bonheur de gagner la terre. À la fin cependant, le vent commença à tomber, et l’on espéra qu’on pourrait conserver encore assez de vaisseaux pour sauver l’armée des horreurs de la famine et la ramener en Europe. Mais ce n’étaient encore que des espérances. Vers le soir, la mer se couvrit d’épaisses ténèbres ; les officiers des vaisseaux qui n’avaient pas péri se trouvant dans l’impossibilité de faire parvenir aucun avis aux troupes qui étaient à terre, celles-ci passèrent toute la nuit dans les tourmens de l’inquiétude la plus affreuse.