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FRAGMENS LITTÉRAIRES.

pauvre fille lui glissait secrètement une bourse ; le vieillard la reçut froidement, et Isaura roulait de grosses larmes dans ses yeux.

Nous nous dirigeâmes du côté du lac ; le vieillard s’empara de mon bras, et nous partîmes en avant, laissant ma parente et Isaura assez loin de nous. Malgré ses soixante-dix ans, Alberti n’avait rien perdu du feu de sa jeunesse ; il m’étonnait par une foule d’observations judicieuses ou malignes ; parfois même il laissait échapper sur sa vie passée quelques mots qui excitaient vivement mon attention. « Vous êtes étranger ? » m’hasardai-je enfin à lui dire. Le vieillard fronça le sourcil, et un instant après il ajouta : « Oui, jeune homme, je suis né dans la Calabre en 17** : des circonstances imprévues m’ont forcé de quitter ma patrie ; mais c’est une histoire que je vous conterai une autre fois ; revenez me voir. »

Je n’eus garde d’y manquer : je retournai plusieurs fois seul chez Alberti ; mais il ne paraissait pas disposé à entrer en matière, et je n’osais lui rappeler sa promesse. Un jour pourtant, où je le trouvai plongé dans une profonde mélancolie, et où il était par conséquent plus porté à s’épancher, il m’entraîna dans un endroit solitaire, et me raconta ce qui suit :

« Dès ma jeunesse, je m’occupai de la science de tromper les hommes. J’acquis à Naples une certaine célébrité dans l’art de la nécromancie ; grands seigneurs et dames de la cour venaient me consulter : je fis une fortune brillante, et je finis par être