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CORRESPONDANCE

mutins. Malgré tout cela, il existe du patriotisme au fond de ces ames. À Ansur, un soldat revenu de Silistrie racontait ce qu’il avait vu. Sa figure animée et pleine d’expression me rappelait celui qui, le jour de la défaite des janissaires à Constantinople, racontait dans le grand champ des morts[1] ce qui venait d’arriver. Vous vous souvenez sans doute encore de l’impression qu’il fit sur nous. Celui d’Ansur, assis à la porte d’un café, entouré d’amis qui venaient lui presser la main, entra dans tous les détails du siége, et déclara qu’on avait été obligé de se rendre, faute de vivres et de munitions. Il loua la manière généreuse avec laquelle les Russes avaient agi à leur égard. Les assistans l’écoutaient en silence, sans laisser percer la moindre émotion. Il parla ensuite de la belle tenue des troupes ennemies, de leur discipline, de leur grand nombre et de l’impossibilité de leur résister. À ces mots, la plupart laissèrent échapper leurs pipes de leur bouche ; à peine s’ils pouvaient la tenir dans la main. Une douleur profonde avait pénétré dans tous les cœurs. L’orateur interrompit son récit. Je m’approchai alors de lui, et lui demandai ce que faisait Hussein-Pacha. « Quant à celui-là, reprit-il avec feu, il ne s’endort pas : toujours actif, intrépide, il n’a cessé de harceler l’ennemi. » Ce dernier trait ranima un peu l’auditoire, qui se sépara presqu’aussitôt. Chacun, en s’éloignant, murmurait tout bas le nom d’Hussein, et semblait reprendre plus de confiance dans l’avenir.

V…
Constantinople, 10 janvier 1830.
  1. Cimetière de Constantinople.