Page:Revue des Deux Mondes - 1830 - tome 1.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
NOUVELLES.

de séjour dans la Patagonie, et au milieu d’Indiens qui ne m’ont pas laissé un instant de repos.

« Je vous parlais dans ma dernière lettre d’un voyage dans le nord du village del Carmen sur le Rio-Negro, dont j’avais été obligé de revenir à la hâte pour me sauver de la fureur des Indiens. Les deux premiers mois qui suivirent cette époque, il ne me fut pas possible de voyager sans m’exposer, si ce n’est pendant les nouvelles lunes, le temps des pleines lunes étant signalé tous les mois par des incursions de ces barbares. Je fus vers le sud, où je vis des déserts affreux auxquels ceux de l’Afrique peuvent seuls être comparés. Lorsque je trouvais des hommes assez braves pour vouloir me guider, j’en réunissais trois ou quatre, et tous bien armés nous voyagions emmenant avec nous quinze ou vingt chevaux : les uns portaient les armes et bagages ; les autres nous aidaient à supporter les fatigues du voyage. Nous faisions, sans nous arrêter, vingt à vingt-cinq lieues, et cela dans de vastes déserts où rien ne peut fixer pour la route à suivre. Une uniformité fatigante et un horizon immense se montrent de tous côtés. Le sol de ces tristes lieux, où pas même le chant d’un oiseau ne vient troubler un affreux silence, ne fut peut-être jamais foulé par un Européen avant moi : aussi les peines et les fatigues que j’ai éprouvées ne peuvent se décrire. Ces voyages ne sont pas d’une longue durée ; cependant j’y ai tué des lions marins, une foule d’animaux intéressans, et ce fameux condor qui, d’après les relations exagérées des premiers Espagnols, donna lieu à des fables dont on fit le Roc des Mille et une nuits.

« À la fin d’avril, les Patagons et quelques peuples vinrent nous attaquer en forces, et nous ne leur résistâmes qu’avec la plus grande difficulté. Ils enlevèrent les troupeaux de la colonie, attaquèrent le fort, et ne consentirent à une trève qu’à des conditions onéreuses. Lorsque je quittai le