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ARCHIVES HISTORIQUES.

Adlié, d’où ils suivirent immédiatement, avec leurs femmes et leurs bagages, la route du désert ; la plupart des habitans du Caire prirent aussi la fuite. « Les Grands, les officiers des janissaires, les chefs des Chérifs et les Cheïkhs, ajoute Abdurrahman, sortirent de la ville pendant la nuit. Le peuple, à cette vue, ne savait à quoi se résoudre ; on manquait à tel point de nourriture, qu’un âne boiteux et un cheval maigre se vendaient le triple de leur valeur. Le plus grand nombre sortait à pied ; on en voyait portant leurs effets sur la tête, suivis de leurs femmes, qui portaient elles-mêmes leurs enfans. Ceux qui avaient le moyen de se procurer des montures faisaient monter leurs femmes et leurs filles, et marchaient devant elles. La plupart des femmes, à pied, portant leurs enfans sur leurs épaules, pleuraient dans l’obscurité, et passèrent ainsi toute la nuit du samedi au dimanche. Chacun avait pris de ses richesses ce qu’il avait pu emporter. Passées les portes de la ville et une fois parvenus dans la campagne, ces malheureux fugitifs furent attaqués et dépouillés entièrement par les Arabes et les habitans des villages. On ne leur laissait pas même de quoi cacher leur nudité ; les Arabes dépouillaient et déshonoraient les femmes. Il y en eut de tuées ; il y en eut qui revinrent sur leurs pas. Ceux qui avaient tardé à sortir rentrèrent dans la ville. Personne n’avait été témoin d’une nuit semblable, depuis que le Caire existait. L’oreille entend raconter des choses que l’œil n’a jamais vues !!…