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DU COMMERCE DE LA MER NOIRE.

des deux rives du Bosphore entraîne avec elle pour la Porte le droit d’accorder ou de refuser à son gré le passage, comme si la mer, sous le rapport de la navigation, n’était pas la propriété de tous. On peut bien, sans doute, en consacrer une partie à des pêcheries, mais le possesseur de la terre ne peut jamais avoir le droit de s’opposer à la libre navigation de la mer ; au reste, ce n’est pas ici le lieu de discuter cette question. Entre mille raisons que je pourrais donner contre ce droit que s’arrogent les Turcs, je me contente (en renvoyant à l’autorité de Vatel, liv. 1, ch. 23,[1]) d’observer que la Russie ayant des possessions légitimement reconnues sur les côtes de la mer Noire, aucune puissance ne peut être en droit de lui en contester la propriété, au point de lui refuser un libre passage pour s’y rendre. S’arroger un tel pouvoir serait incompatible avec la souveraineté de la Russie, et un outrage envers elle… Quoi qu’il en soit, il est de fait que la partie négociante de l’Europe, qui jouit par faveur du libre passage, envoie chaque année dans la mer Noire 12 ou 1500 navires, et dont le fret monte à 18 ou 20,000,000 de francs ; que le commerce extérieur consistant surtout en commissions pour des étrangers, et très-peu en affaires au compte de la Russie, occasionne un échange annuel d’importation et d’exportation qui s’élève à plus de 24,000,000 de roubles. Ce trafic maritime introduit, en outre, d’une manière directe, une activité toujours croissante dans le commerce intérieur établi entre l’Allemagne et la Russie méridionale ; enfin, il se forme à chaque instant, par les nombreuses migrations qui s’opèrent

  1. « Il faut observer, par rapport à un détroit, que s’il réunit deux mers dont la navigation soit commune à toutes les nations, ou seulement à quelques-unes, le possesseur du détroit ne peut refuser aux autres le droit de passage, lorsque ce passage ne l’expose à aucun danger ou à aucune injure. S’il le refusait, sans donner de sa conduite un motif satisfaisant, les autres peuples seraient privés d’un avantage que leur avait donné la nature. En un mot, un tel passage est un reste de la communauté primitive de tous les biens. »