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VALACHIE.

l’homme n’a d’autre supériorité que celle de la force, d’autres liens que ceux du hasard, d’autres penchans qu’un brutal désir.

Mais mon espionnage fut bientôt trahi par quelque chien de la tribu, ou les oreilles non moins vigilantes de quelque Bohémien. Un mouvement général s’opéra dans cette masse confuse, où tout s’agita et parut reprendre vie, comme dans une fourmilière que l’on dérange ; deux ou trois hommes sortirent brusquement de la tente, et me demandèrent, en langue valaque, d’un ton assez effronté, ce que je voulais. Les vêtemens étrangers qu’ils aperçurent les rendirent cependant plus humbles, et quand je leur eus fait connaître ma ferme détermination de les renvoyer chercher leur gîte plus loin du village, le vocabulaire si servile du paysan valaque n’avait pas d’expressions assez basses pour rendre leurs supplications. — Ils étaient si fatigués ; les villages étaient si loin ; il leur fallait si peu de chose, ce qu’on donne à un chien, un peu de terre pour s’y coucher, un peu d’eau pour se rafraîchir ; je n’aurais jamais le cœur de renvoyer ainsi une pauvre tribu qui venait manger à ma porte le pain de la misère, sans même me demander les miettes de mon repas. Je l’avouerai : mes entrailles, d’ailleurs endurcies par le contact avec une population toujours mendiante et toujours affamée, étaient assez peu émues de ces longues litanies ; j’insistai avec fermeté, et plus ma voix s’élevait, plus celle de mes antagonistes baissait de ton, surtout à la vue du redoutable bâton dont mon compagnon faisait parade, comme pour appuyer mon discours ; car rien en Valachie ne résiste à cet argument : celui qui frappe a toujours raison. Enfin, dans mon impatience, j’arrachai de la terre une des cordes de la tente, et le fragile édifice chancela. J’eus tort, et ne fus pas long-temps sans m’en apercevoir : la tribu parut se soulever tout entière ; quatre ou cinq femmes sortirent de la tente totalement nues, mais d’une nudité si re-