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MÉMOIRES DE L’EMPEREUR DJIHÂN-GUIR.

raggies[1], ces enfans de la misère, et que les faveurs impériales ne se répandent plus qu’aux dépens de la bourse du pauvre. L’anachorète lui-même voit troubler sa pieuse solitude, non pour implorer ses prières, mais pour lui arracher les dons qu’il a obtenus de la charité des fidèles.

» Que votre majesté me permette de lui demander si elle accorde quelque confiance aux préceptes du Livre divin. Ce volume sacré nous enseigne à considérer le Très-Haut comme le dieu de la nature et des enfans d’Adam, et non comme le dieu des seuls musulmans. Le païen et le mahométan sont égaux à ses yeux : les différences de race et de naissance s’effacent devant sa grandeur. Tous sont l’ouvrage de ses mains, et sur tous il répand les trésors de sa bonté paternelle, sur celui qui implore sa miséricorde en priant dans la mosquée, comme celui qui, dans la pagode, célèbre ses bienfaits au bruit des cloches et des instrumens. Il est indigne des traditions de nos livres saints de persécuter des dissidens sous le prétexte de les persuader, et c’est insulter à la sagesse du Créateur que de condamner les créatures.

» Jadis l’État était gouverné avec tant de prudence et de fermeté, que les femmes et les enfans, couverts même de leurs plus précieux bijoux, pouvaient voyager en sûreté sans que la main du brigand osât jamais menacer leur faiblesse. Quelle différence ! votre majesté elle-même a pillé toutes les villes et les a changées en déserts. Si c’est l’esprit de votre religion qui vous a dicté ces mesures, elles ont trouvé en vous un rigide exécuteur… Vous avez commencé par accabler d’impôts le Rana, prince des Hindous, et maintenant vous tombez sans pitié sur moi, aussi incapable de défense que la fourmi qu’un laboureur écrase en marchant. Honte à votre folie ! malédiction sur votre cupidité !


(Traduit par le colonel Tod, auteur des Annales et Antiquités du Radjestân.)
  1. Sectes religieuses qui font vœu de pauvreté.