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ANCIEN EMPIRE MOGOL.

qui a porté pendant la moitié d’un siècle, le sceptre du monde, avait compris dans sa haute sagesse, qu’il importait à la prospérité de son empire, non-seulement de tolérer, mais de réconcilier et de réunir les hommes des croyances les plus opposées. Les sectateurs de Jésus et de Moïse, de David et de Mahomet, le Faquir, l’adorateur de Bramma et de Chiva, vivaient tous en paix à l’ombre protectrice de son trône. Le succès marchait toujours devant lui dans toutes ses entreprises, et les peuples reconnaissans l’avaient nommé le Gardien du genre humain.

» L’empereur Muhammed Djihân-Guir, dont le séjour est maintenant dans le paradis, s’assit pendant vingt-deux ans sur le trône de gloire et de prospérité, dispensant le bonheur et la justice à ses paisibles sujets.

» Telle fut aussi la conduite de Chahiz-Djihân, toujours victorieux de ses ennemis. Après un règne de trente-deux ans, qui offre à l’histoire une ample moisson de glorieux événemens, il meurt, et son ame s’envole dans les régions de l’éternelle miséricorde, juste récompense d’une vie noblement employée et noblement finie.

» Voilà quelles furent les généreuses intentions de vos prédécesseurs ! Ce n’est pas sans un vif sentiment de douleur que nous voyons l’empereur Aurengzeb dédaigner les vertus de ses aïeux qui, au milieu des pompes du palais, s’occupaient du sort de la cabane et des besoins de leurs pauvres sujets, vertus que vos ancêtres se transmettaient jadis avec le sceptre, et que l’on cherche maintenant en vain dans leur héritier. Plus on avait espéré de les y trouver, plus leur absence est à déplorer. Vos illustres prédécesseurs possédaient, ainsi que vous, le pouvoir absolu d’imposer des taxes ; mais quand ils considéraient que le bras de la toute-puissance ne doit s’étendre que pour répandre des bienfaits dans le sein des pauvres, images de la divinité, ils accordaient merci à leurs sujets ; le peuple exempt d’impôts se livrait avec ardeur aux travaux de l’industrie, et la prospérité de l’état croissait avec celle des habitans. Quel triste contraste offre le règne de votre majesté ! Beaucoup de places fortes ont déjà été enlevées à votre domination, et celles qui vous restent ne sont pas loin de se rendre. Voilà les fruits de votre cupidité ! Voilà les conséquences de votre détestable administration. Vos sujets se débattent contre la misère ; vos revenus sont engagés d’avance. Là, où jadis on percevait mille roupies, maintenant on peut à peine en retirer cent. Hélas ! hélas ! que ce soit avarice ou folie, la pauvreté pénètre jusque dans le palais du prince, et alors plus de sciences ; plus de beaux-arts. Les cypaies, privés de leur solde, se mutinent et se révoltent ; les négocians, sans débouchés pour leurs marchandises, n’ont que la banqueroute en perspective, les imans sont vexés et réduits à la mendicité, les brahmines ruinés et bannis ; le laboureur, après les fatigues de la journée, ne sait comment se procurer le repos du soir. Oh malheureux peuple ! que ta situation est devenue déplorable !

» Quelle gloire, quel honneur pour l’illustre famille de Timour, quand les annales de l’Hindoustan annonceront que l’empereur Aurengzeb, avide des aumônes jetées dans la sébille du mendiant, a levé un tribut sur les Syniassies, les By-