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RUSSIE.

sée dans les rangs de son armée. Youssouf-Pacha avait vendu Varna ; les vieux janissaires ont livré Erzeroum ; ils ont ouvert les portes d’Andrinople. Environné de conspirateurs et d’ennemis, tiraillé en tout sens par les conseils vacillans de la diplomatie, Sultan-Mahmoud vient de signer un traité qui importe l’empire russe dans son propre empire, ou plutôt qui ne fait du chef des musulmans qu’un vassal dont le suzerain est à Saint-Pétersbourg.

N’était-il donc pas assez formidable, l’empire qui comprend à lui seul la neuvième partie de la terre-ferme, qui se compose de la moitié de l’Europe et du tiers de l’Asie, et dont le sol, couvert de soixante millions d’habitans, a trois cents soixante-huit mille milles carrés d’étendue ? L’Angleterre enfin ne peut plus cacher ses alarmes ; elle redoute l’influence des czars en Europe ; elle craint pour ses possessions de l’Inde. On trouve ces alarmes consignées dans ses journaux, et surtout dans un ouvrage récemment publié par un officier supérieur anglais, le colonel Evans[1].

Cet ouvrage fournit des preuves irrécusables des projets ambitieux du cabinet de Saint-Pétersbourg par rapport à l’Inde. Mais d’abord, nous croyons devoir combattre ici une erreur assez généralement répandue : c’est que l’attaque de la Russie sur l’Inde doit être nécessairement précédée de la conquête de la Perse. En descendant vers la Perse, la Russie a surtout pour but d’envelopper progressivement la Turquie, d’assurer de nombreux débouchés à son commerce de la mer Noire, et, en s’avançant jusqu’à l’Euphrate, de rouvrir peut-être l’ancienne route qui amenait du golfe Persique, sur les rivages du Pont-Euxin presque tous les produits de l’Orient. L’invasion de l’Inde ne sera pas tentée du côté de la Perse. Il existe un chemin plus court et moins périlleux : c’est le chemin de Djenghiz et de Tamerlan, c’est la Tartarie indépendante.

  1. On the practibility of an invasion of India. London, 1829.