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jusqu’à Constantinople, à l’est, par les villes du détroit de Kerč et par les steppes, jusqu’au Caucase, jusqu’à l’Asie centrale, jusqu’à la Chine, jusqu’à l’Inde, au nord, par Novgorod, par Rostov, par la Volga, jusqu’aux rivages de la Baltique et de la mer Blanche ; — le contraste qui s’accuse entre le degré de développement de la cité-état et l’organisation tribale primitive des Slaves qui avaient peuplé les villes, entre le mode d’existence préhistorique des peuplades et la haute civilisation des cités ; — enfin la forme même du gouvernement, surprenante combinaison d’une autorité militaire avec l’autonomie urbaine.

Les médiévistes réfléchis d’occident s’étonnent à bon droit, lorsqu’ils abordent l’histoire comparative des divers pays d’Europe durant le Xe siècle et les siècles suivants, de la différence profonde qu’ils constatent, pour cette période de début de l’histoire moderne, entre l’Orient et l’Occident. C’est qu’en Russie l’évolution initiale a été déterminée par les relations commerciales et par la cité, alors que dans l’Europe occidentale elle a été réglée par le travail de la terre et par le type d’organisation politique que représente le « domaine-état », ce type qui n’apparaît en Russie qu’au XIIIe siècle et sous une forme radicalement différente de celle qu’il a en Occident.

Il y a là une opposition dont on ne saurait rendre compte en faisant commencer l’histoire russe, comme on le fait d’ordinaire, au IXe siècle, avec la Chronique ; aussi bien aucun historien n’y a-t-il réussi jusqu’à ce jour. L’erreur fondamentale, commune à tous les historiens, est de confondre ou plutôt de séparer artificiellement, comme s’il s’agissait de deux sujets différents, l’histoire de la race slave et l’histoire du pays qui est devenu l’arène de cette race. C’est là oublier deux faits essentiels, à savoir que l’histoire de la Russie remonte dans le passé bien au delà de celle des Slaves, et que l’on ne peut établir cette histoire isolément, indépendamment de celle du monde civilisé de l’époque gréco-romaine et de l’époque des migrations des peuples, la Russie, et surtout la Russie méridionale, ayant participé à la vie de ce monde civilisé. Que si l’on renonce à cette conception de l’histoire de la Russie comme réduite exclusivement à l’histoire de la race russe, que si l’on considère cette histoire du point de vue plus large de l’histoire universelle, bien des faits y deviendront intelligibles qui jusque là demeuraient obscurs, et l’histoire même de l’état russe nous apparaîtra sous un jour nouveau.