lation dont l’objet n’est pas de ravaler les formes supérieures de l’être aux formes inférieures, mais, au contraire, de revendiquer pour les premières un degré de réalité au moins égal à celui que tout le monde reconnaît aux secondes. Nous ne disons pas, en effet, que les faits sociaux sont des choses matérielles, mais sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d’une autre manière.
Qu’est-ce en effet qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans. Est chose tout objet de connaissance qui n’est pas naturellement compénétrable à l’intelligence, tout ce dont nous ne pouvons nous faire une notion adéquate par un simple procédé d’analyse mentale, tout ce que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de sortir de lui-même, par voie d’observations et d’expérimentations, en passant progressivement des caractères les plus extérieurs et les plus immédiatement accessibles aux moins visibles et aux plus profonds. Traiter des faits d’un certain ordre comme des choses, ce n’est donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel ; c’est observer vis-à-vis d’eux une certaine attitude mentale. C’est en aborder l’étude en prenant pour principe qu’on ignore absolument ce qu’ils sont et que leurs propriétés caractéristiques, comme les causes inconnues dont elles dépendent, ne peuvent être découvertes par l’introspection même la plus attentive.
Les termes ainsi définis, notre proposition, loin d’être un paradoxe, pourrait presque passer pour un truisme, si elle n’était encore trop souvent méconnue dans les sciences qui traitent de l’homme, et surtout en sociologie. En effet, on peut dire en ce sens que tout objet de science est une chose, sauf, peut-être, les objets mathématiques ; car, pour ce qui est de ces derniers, comme nous les construisons nous-mêmes depuis les plus simples jusqu’aux plus complexes, il suffit, pour savoir ce qu’ils sont, de regarder au dedans de nous et d’analyser intérieurement le processus mental d’où ils résultent. Mais dès qu’il s’agit de faits proprement dits, ils sont nécessairement pour nous, au moment où nous entreprenons d’en faire la science, des inconnus, des choses ignorées, car les représentations qu’on a pu s’en faire au cours de la vie, ayant été faites sans méthode et sans critique, sont dénuées de valeur scientifique et doivent être tenues à l’écart. Les faits de la psychologie