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jadis fortune sous le nom de matérialisme historique. Toute l’histoire de la société humaine jusqu’à ce jour est l’histoire de luttes entre oppresseurs et opprimés dressés les uns contre les autres dans un conflit incessant, menant une guerre sans répit, tantôt masquée, tantôt ouverte, tantôt consciente, tantôt inconsciente, mais toujours fatale et qui ne peut s’achever que par un bouleversement révolutionnaire de la société toute entière, ou par la destruction des deux classes en conflit. Or, ces classes, d’où proviennent-elles — de l’économie, c’est-à-dire de la propriété, de la technique, de la production et de l’organisation du travail. Et, de même que, pour la plupart des individus humains, l’essentiel de la vie c’est le métier ; de même que le métier, qui est la forme économique de l’activité individuelle, détermine le plus souvent les habitudes, les pensées, les douleurs, les joies, les rêves mêmes des hommes — de même, à chaque période de l’histoire, la structure économique de la société détermine les formes politiques, les mœurs sociales et même la direction générale de la pensée[1]. S’il y a, et puisqu’il y a une politique, une religion, une morale, un art, une littérature, tout un système d’idées spécifiquement bourgeoises ou spécifiquement aristocratiques, ou spécifiquement ouvrières — il s’ensuit que l’économie est la cause véritable non seulement de toutes les transformations politiques, mais encore de toutes les conceptions religieuses, morales, esthétiques ou intellectuelles de l’humanité.

Système explicatif de tout l’ensemble des faits historiques — le matérialisme historique connaît des rivaux, aussi ambitieux, aussi démesurés, aussi chimériques que lui. Les uns, supra terrestres, pourrait-on dire : ce sont ceux qui dérivent de cette théorie providentielle de l’histoire universelle qu’exposait jadis, avec tant de force, Bossuet — et que, naguère encore, un esprit curieux, Em. Garat, dans un livre intitulé : Simple hypothèse. L’action providentielle de la Révolution française depuis 1789 jusqu’à nos jours (Paris, Daragon, 1909, in-8o) appliquait curieusement à la Révolution française. Les autres, d’ordre physique et naturel : tel ce système étrange que, dans toute une série d’ouvrages destinés à établir, comme il dit, la grande loi de l’Histoire, un Belge, M. Millard, s’est acharné à exposer et à prétendre démontrer ; système aux termes duquel la vie des peuples procéderait par générations

  1. Jaurès, Histoire socialiste, t. I, La Constituante, Introduction, p. 6