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II

Ainsi, à nos yeux, l’histoire est une science. Et qui, comme toutes ses sœurs, entend bien aboutir à des lois. — Mais peut-on dès maintenant se proposer comme but la constitution d’un corps de lois historiques ? Comme but lointain, oui. Comme but idéal, oui. Comme but prochain, non. Les temps ne sont pas venus.

De l’amas des faits historiques, tirer des lois, des lois véritables, des lois entraînant prévision de l’avenir — l’entreprise n’est aujourd’hui ni à mon pouvoir, ni au pouvoir de personne. Y a-t-il là de quoi railler — ou tirer argument contre l’histoire — ou conclure qu’elle n’est pas, qu’elle ne saurait être jamais une science — car qu’est-ce qu’une prétendue science qui, depuis qu’elle existe, n’a pu encore formuler de lois ? Mais, au fait, depuis quand existe-t-elle ? Depuis des dizaines de siècles, si l’on tient Hérodote pour un historien au même titre que Fustel de Coulanges ; depuis quelques décades à peine si l’on estime que, dans la seconde moitié du XIXe siècle seulement, l’une des deux ou trois disciplines les plus compliquées et les plus délicates a commencé réellement à prendre conscience de sa méthode et de son but — l’une de celles où la détermination des causes, en raison même de leur nature et de leur complexité, souffre des difficultés telles qu’elles peuvent paraître parfois presque insurmontables aux bonnes volontés les mieux assurées ; une de celles enfin dont les progrès apparaissent le plus étroitement subordonnés à ceux d’autres sciences voisines, encore dans l’enfance — et pour n’en citer que deux, la psychologie et la sociologie : toutes deux réunies sont-elles, à l’heure actuelle, beaucoup plus riches en lois que notre jeune histoire ?

En fait, l’histoire, jusqu’à présent, n’a guère connu que de fausses lois, généralisations brillantes improvisées à l’aide de faits insuffisamment nombreux et mal analysés par des esprits trop enclins à devancer les temps, dans l’excès même de leur vivacité. Les unes se soucient moins de contrefaire des lois proprement dites que de munir les historiens d’un principe d’ensemble qui leur permette de réduire à l’unité d’une explication passe-partout cette écrasante complexité du monde vivant sous laquelle succombe parfois leur raison. De ces prétendues lois, la plus connue sans doute a fait