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lendemain de la victoire, alors que le prestige du triomphe porte tout naturellement la France sur le devant de la scène ; quelle tâche plus belle et plus pressante ici surtout, dans cette Alsace sevrée pendant presqu’un demi-siècle de parole et de pensée françaises, assiégée par les mille mensonges et les mille astuces d’un vainqueur sans scrupules, d’autant plus avide d’entendre, enfin, la vérité française ? Que l’histoire serve : nul ne s’avisera de la trouver inutile.

Eh bien non. S’il fallait acheter à ce prix le droit moral de faire de l’histoire, je le dis bien haut — j’y renoncerais. Et le non que je viens de prononcer, je veux le prononcer d’autant plus fort, je veux le répéter d’autant plus haut que je parle ici, précisément, dans cette salle — dans ce bâtiment élevé pour la justification d’une politique, pour la glorification d’une dynastie et d’un état.

L’histoire qui sert, c’est une histoire serve. Professeurs de l’Université Française de Strasbourg, nous ne sommes point les missionnaires débottés d’un Évangile national officiel, si beau, si grand, si bien intentionné qu’il puisse paraître. Nous n’apportons à Strasbourg, dans les plis de nos robes doctorales, ni provisions d’antidotes savamment combinés pour détruire les derniers effets de la pharmacopée historico-providentielle de nos prédécesseurs, ni contre-épreuve ingénieusement maquillée et travestie à la française de cette vérité casquée et cuirassée, aux faux airs de Bellone ou de Germania, seule et véritable déesse de ce qui était, hier, un temple officiel — de ce qui est aujourd’hui un centre libre de recherches. La vérité, nous ne l’amenons point, captive, dans nos bagages. Nous la cherchons. Nous la chercherons jusqu’à notre dernier jour. Nous dresserons à la chercher après nous, avec la même inquiétude sacrée, ceux qui viendront se mettre à notre école. L’habiller à la mode d’un pays, au goût d’une époque, au gré de nos passions ? À défaut de notre conscience de savant, notre prudence nationale nous l’interdirait ; notre amour averti de la France, notre sens de son intérêt évident, aiguisé par tant de dangers, tant de craintes et d’émotions toutes récentes, nous représenterait les dangers, les périls sans nombre d’un telle entreprise. Ce qui a perdu l’Allemagne, n’est-ce pas précisément de s’être façonné une vérité à son usage exclusif, une vérité à sa ressemblance et à sa seule convenance — n’est-ce pas de s’être hypnotisée dans la contemplation de cette figure imaginaire et d’avoir cru finalement,