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F. RAVAISSON.TESTAMENT PHILOSOPHIQUE.

Tandis que le Sauveur dans l’Évangile dit : « J’ai pitié de la foule » tandis que l’Évangile dit encore : « Pardonnez jusqu’à sept fois, jusqu’à septante fois par jour » ; tandis que dans un office des morts de l’Église catholique on dit à Dieu : « Toi dont le propre est d’avoir pitié toujours et de pardonner », une théologie étroite veut qu’il désespère de la plupart des hommes et les condamne, comme incapables d’amendement, à périr pour toujours. Au nom de la justice, une théologie étrangère à l’esprit de miséricorde qui est celui même du Christianisme, abusant du nom d’éternité qui ne signifie souvent qu’une longue durée, condamne à des maux sans fin les pécheurs morts sans repentir, c’est-à-dire l’humanité presque entière. Comment comprendre alors ce que deviendrait la félicité d’un Dieu qui entendrait pendant l’éternité tant de voix gémissantes ?

Selon d’autres, Dieu désespérant des pécheurs irréconciliables et ne pouvant cependant ordonner d’éternels supplices, vouerait ces pêcheurs à l’anéantissement. Mais cette hypothèse de l’irréconciliabilité est une de ces fictions que rien n’autorise qu’un esprit d’abstraction qui crée des types absolus en supprimant les différences de degrés, caractère général des réalités, et les reporte en Dieu, seul sans bornes en sa miséricorde.

On trouve souvent dans le pays où naquit le christianisme aux derniers temps de l’antiquité païenne, une fable allégorique inspirée d’une tout autre pensée, la fable de l’Amour et de Psyché ou l’âme.

L’Amour s’éprend de Psyché. Celle-ci se rend coupable, comme l’Ève de la Bible, d’une curiosité impie de savoir, autrement que par Dieu discerner le bien du mal et comme de nier ainsi la grâce divine. L’Amour lui impose des peines expiatoires, mais pour la rendre à nouveau digne de son choix, et il ne les lui impose pas sans regret. Un bas-relief le représente tenant d’une main un papillon (âme et papillon, symbole de résurrection, furent de tout temps synonymes), de l’autre main il le brûle à la flamme de son flambeau, mais il détourne la tête, comme plein de pitié.

On voit, sans qu’il soit besoin d’explication, quelle pensée traduit cette représentation. Elle semble plus conforme que la doctrine ordinaire de l’éternité des peines et que celle de l’immortalité conditionnelle à l’esprit de mansuétude de l’Évangile.

La perfection est la raison d’être, a dit Bossuet. Comme on prétendait au temps d’Aristote que le bien et le beau étaient choses tardives et passagères, il disait : Pourquoi Dieu dure-t-il sinon parce que